26 Août 2010
Le court métrage
La chaleur écrasante sourd dès les premières images. Musique lancinante, gros plan sur le chapeau. L’homme est immobile sous son panama, une barbe de trois jours recouvrant le bas de son visage. Un éclat brille dans ses yeux alors qu’il scrute le ciel. Il se met lentement en mouvement. Les autres attendent.
Sans geste inutile, il prépare le café à l’abri du muret. La vieille cafetière italienne chauffe sur le réchaud de fortune. On le suit lorsqu’il distribue les verres et les tasses. Mains féminines, masculines qui se tendent, expressives, narines qui hument, lèvres qui goûtent. Fumée légère, flou, images et photos qui défilent, sont-elles dans l’esprit du personnage ? Un port, quelques barques, un voilier du début du XXe un homme vêtu de blanc… A première vue, l’homme pourrait être un des scientifiques du Pourquoi pas qui, au cours d’une escale sous les tropiques, s’était offert un superbe panama.
Satisfait d’avoir servi son équipe, il cherche le coin d’ombre où il pourra déguster tranquillement son café incomparable en lisant. Peu après, il ouvre le Quichotte, une édition de Garnier Frères de 1961 dans une traduction de Louis Viardot et se plonge dans la lecture. En écho de chaque phrase, il retrouve la traduction de Schulman aux éditions du Seuil et le castillan rocailleux de Cervantès. Le Quichotte l’accompagne depuis si longtemps. Il le connaît par cœur. Où qu’il soit, il en lit un « petit passage » et il tombe toujours juste...
Il revient ensuite à la vie et aux autres, abandonnant son livre avec la douceur de celui qui sait combien la séparation rendra leurs retrouvailles jubilatoires. La foule arrive, bruit de pas et de conversations, cris d’enfants. Le champ s’élargit autour du héros puis, prenant de la distance, la caméra pointe au loin la passerelle qui conduit au Château Royal.
Retournement, plan large sur l’homme et, à côté de lui, la cafetière, le réchaud, le muret. Par-delà le muret, la plage et ses baigneurs, la mer étale. Immuable, en fond d'image, le Clocher de l’Horloge sonne l’heure.
Traveling balayant la plage, revenant de ce côté-ci du muret, du côté des tables couvertes de livres. C’est le salon du livre de Collioure. L’homme, le libraire, est debout derrière la caisse enregistreuse. Autour de lui, les auteurs invités dédicacent ou discutent.
Le making off
Ce film, personne ne le verra jamais. Nous nous le sommes racontées, Marie-Isabelle Merle des Iles* et moi dans ce moment de calme qui suit le repas sur le salon "Un livre à la mer" à Collioure. Tout ce qui précède est un rêve, le nôtre, mais celui qui l’a suscité est bien réel. Notre libraire** est un des derniers aventuriers des lettres. Pendant que nous nous faisons notre cinéma, il se dédie aux visiteurs. Le Quichotte est resté ouvert sur le chapitre XLI :
«… En moins de quinze jours, notre renégat eut acheté un très bon bateau qui pouvait contenir plus de trente personnes. Il décida de se rendre à Cherchell, ville située à trente lieues d’Alger du côté d’Oran où l’on fait un grand commerce de figues sèches ».
*Marie-Isabelle Merle des Iles présentait au salon du livre de Collioure notamment Les compagnons du Pourquoi pas aux éditions Paulsen et A la table du Pourquoi pas aux éditions de l’Inventaire.
** Librairie Torcatis à Perpignan