Des nouvelles de Michèle Bayar, autrice jeunesse, humeur, ouvrages, articles, rencontres : en 2024 masterclass "Écrire à voix haute"
Ci-dessous, une Présentation du roman par Daniel Cohen, éditeur ; une analyse de Florence Rigaldo, professeur de lettres et écrivain : Un roman qui mélange les genres ; une critique de Bernadette Visconti, professeur documentaliste : La naissance, la maternité, la genèse, la filiation.
Présentation du roman
par Daniel Cohen, éditeur
Michèle Bayar nous dit, dans sa prière d’insérer, appelée, aujourd’hui, quatrième de couverture, qu’elle vient d’écrire, avec Ali Amour, son « premier roman pour adultes ». On la connaît, en effet, comme auteur pour l’enfance, ou plutôt pour l’adolescence.
A vrai dire, lorsque vous lirez ce joli roman, vous verrez que la matrice du conte n’a pas disparu, et, si l’écart est évidemment net entre la narration pour les enfants que nous demeurons et celle pour les adultes, nommés ainsi par la raison sociale, il reste que sa fiction ressortit au monde féérique. Et ceci n’est pas sans ajouter du charme à l’œuvre. Nous traversons un temps qui est celui du rêve, avec des protagonistes que le personnage principal, Andrée Amour, engendre en cet entre-réel qu’est le rêve.
En principe, le rêve réexamine notre énergie naturelle, la module, lui confère, en arrière-plan, l’outil nécessaire à décrire la fonction symbolique du langage. Le rêve, en tant que puissance créatrice, a été l’un des plus puissants nourriciers de la littérature. Il suffit de remonter à l’histoire des contes, dans la haute antiquité, sans oublier le chef-d’œuvre absolu que sont les Mille et une nuits. Puis, plus proches de nous, Charlotte Brontë, Gérard de Nerval, Guy de Maupassant, Proust surtout, nous ont emmenés vers ces « portes d’ivoire ou de corne » qu’évoque Virgile dans son Enéide.
Michèle Bayar, en écrivain de notre temps, resserre l’écart et désenvoûte l’atmosphère onirique en la mêlant à l’action de l’immédiat. Et c’est le double effet de l’actif et de l’irréel qui rend son livre prenant et intelligent. Ajoutez-y un style agréable et vous obtenez un roman que non seulement je vous recommande mais que vous devez recommander à tous vos proches.
De nos jours, la prose n’a pas mauvaise presse – comment le pourrait-elle puisqu’elle demeure la seule matrice qui résiste à l’océan d’images qui, d’un bout à l’autre de notre planète, nous submerge et nous étouffe quasiment. Cela explique moins l’étiolement de la littérature que son recentrage. Elle est, elle a été et sera le médium absolu qui lie l’homme à son passé et à ses utopies. Dans le groupe auquel j’appartiens, et dans l’unité singulière que sont les éditions Orizons, le soutien au livre de prose n’a pas failli. Chez Orizons, j’édite des figures éminentes mais aussi des romanciers méconnus ou inconnus. Dès lors que je sens une voix, dès lors que je ressens l’intimité de l’auteur dans son effort de surmonter ses propres obstacles afin d’accéder à l’universel en nous, alors je lui serre la main. Main dans la main est la devise d’Orizons. C’est par ses réseaux et les réseaux de ses réseaux que nous parviendrons à muscler les équilibres assurant la pérennité du livre, quels que soient d’ailleurs ses supports : papier aujourd’hui, ondes après-demain.
Mais revenons au roman. Dans Ali Amour, il y a aussi, éparpillés, les parfums de mon enfance. Je suis né au Sahara et il est une chose que les rêves m’ont appris : la terre de notre naissance n’est pas la vaine patrie politique que les faiseurs torpillent presque toujours ; elle est autre chose ; elle est la patrie de l’imaginaire ambiant dans laquelle nous baignions, Œdipe freudien transféré ; nous portons le langage et les symboles de nos ancêtres ; plutôt que d’en faire les marionnettes blanches et noires que lesdits faiseurs articulent selon leurs intérêts, la littérature les incorpore, les transcende, en fait, dans le milliard d’éléments de qui sourd sinon la compréhension, du moins l’appréhension du monde, les compagnons de notre cheminement.
Michèle Bayar, consciemment ou inconsciemment, a su, avec l’intuition ou avec la vision propre à l’écrivain, réunir les figures de son puzzle, et offrir au lecteur de langue française un récit qui tient, paradoxalement, par la fragilité de son architecture. Cette clé des songes, elle en est la propriétaire ; nous lui devons, au premier chef, notre complicité.
Paris, 11 juin 2011
Un roman qui mélange les genres
Par Florence Rigaldo, professeur de lettres et écrivain
La construction du roman est assez complexe, même si le récit est conduit par une narratrice unique, Simone, personnage inventé par l’auteure Andrée Amour et supposé représenter celle-ci dans le roman jeunesse à caractère autobiographique qu’elle a entrepris d’écrire.
Les personnages évoluent dans trois espaces aux contours mouvants : l’espace de la « réalité », dans lequel vit Andrée ; l’espace de la fiction, monde des personnages créés par Andrée mais laissés en rade par celle-ci, parce qu’elle vit une rupture amoureuse douloureuse qui a fait remonter au premier plan sa relation difficile avec son père ; et l’espace fantasmatique, qui envahit, par intermittences mais avec force, les deux autres et appartient autant à la créatrice qu’à sa créature en voie d’affranchissement.
L’action s’organise autour de la figure centrale du père, fantôme symptôme qui revient hanter une Andrée d’autant plus mal en point qu’elle le cache à son entourage, figure paternelle terrifiante dont l’apparition rappelle celle de la « statue du commandeur », avec en contrepoint de celle-ci le personnage d’Hubert, irrésolu et versatile, plus médiocre qu’inquiétant mais néanmoins tout aussi déstabilisant et néfaste pour Andrée. Les personnages se multiplient comme dans un jeu de miroirs : d’Andrée à son double littéraire, en passant par Andrée enfant et Andrée adolescente ou princesse ; du père, tour à tour fantôme sur l’écran ou acteur de légende regardant le film… Personnages qui se reflètent, se complètent ou s’opposent - multiples facettes de l’être humain.
Le roman mélange les genres. C’est un roman « pour adultes », mais qui emprunte au roman « jeunesse », univers privilégié d’Andrée Amour, démontrant peut-être par là le caractère absurde des pseudo classifications, l’inanité des étiquetages rassurants. Si le fond est grave (les ravages produits par le père, corroborés par ceux produits par la mère) l’humour et la dérision sont toujours présents. Aussi le récit prend-il parfois des tournures de récit d’aventures (l’exploration de la citadelle, des souterrains), de roman d’amour (Simone brûlant pour des bellâtres) ou de récit merveilleux, avec à chaque fois une distance qui conduit à la parodie. D’ailleurs, n’est-ce pas parce que le roman a des allures de récit merveilleux qu’il s’achève par une happy end ? Les personnages évoluent, mais on peut s’étonner de l’incroyable virage opéré par le père : d’abord froid, abrupt et acerbe, il se métamorphose en père affectueux, rassurant même Andrée Amour sur l’opportunité de ses choix (les ateliers d’écriture) – revirement brusque, même si Simone y a largement contribué.
Le roman invite aussi à réfléchir au statut de l’écrivain : au « je veux être Chateaubriand ou rien » de V. Hugo s’est substitué le « tu seras Simenon… » du père, tout aussi annihilant. Or avec le personnage d’Andrée Amour, l’écrivain n’est plus l’archétype du Voyant inspiré par les Muses, mais l’artisan plus modeste qui doit se plier aux contraintes triviales (comme le nombre de caractères par page) imposées par les éditeurs.
La naissance, la maternité, la génèse, la filiation
Par Bernadette Visconti, professeur documentaliste en lycée