3 Avril 2020
Journal de confinement - par Martine Brulé, publié par MB
jour 1
Tous les contacts sociaux rationnés, nous perdions en quelques heures ce qui faisait le sel de notre existence et dont nous avions à peine conscience. Et les oiseaux, eux, continuaient de chanter.
jour 2
Par chance le soleil était toujours présent. Quelques tondeuses remplissaient le silence des rues désertées. Bourgeons et pâquerettes conversaient, se frottant à l'herbe haute. Les chats poursuivaient leur ronde, assurés de leur suprématie, allongés et sereins tels des sphinx égyptiens. La nature ne subissait aucune consigne de sécurité. Elle clamait son épanouissement.
jour 3
J'ai abandonné ma chaise longue et fait l'inventaire des instruments de jardinage. J'ai entrepris de déterrer les pissenlits qui bordaient la terrasse, coupé quelques ronces qui envahissaient ma haie et me suis rendue compte que mes gants n'étaient plus étanches. J'ai maudit ma petite taille et mes muscles endormis. Voltaire au loin se réjouissait. Je venais enfin de l'entendre.
Jour 9
J'ai retrouvé mon kit de survie, comme sur un poème que je croyais oublié : la famille, les amis, du soleil pour l'éveil, de l'eau sur ma peau, un peu de crème dans les pâtes. Et puis des pas et des mots. Des pas encore et des mots à venir, des endormis, des retrouvés dans la salle des pas perdus, des pas d'hier qui me reviennent, de ceux qui ne s'effaceront plus et de ceux que je n'ai pas encore goûtés.
Jour 11
Je me suis levée en plein désordre. Mon corps voulait encore mais ma tête refusait de suivre. Un jour à se poser au soleil sans plus chercher à réfléchir. J'ai éteint tous mes écrans et j'ai écouté le chant des oiseaux. Leur discussion était si vive et si gaie. En fermant les yeux j'ai vu deux enfants courir dans un jardin. J'ai voulu chanter le printemps avec eux, comme autrefois, dans la grande maison bordée de rosiers. Je me suis laissée surprendre. Les larmes sont montées, doucement. Laisser couler ce que le vent viendra sécher.
Jour 13
J'ai installé mes crayons sur la table devant une feuille. Ils m'ont dessiné un gros bouquet de fleurs. Des pensées toutes jaunes. Mon esprit n'était plus que lumière. Le forsythia dans la haie me faisait de l'oeil, les narcisses dansaient au vent, les pissenlits éclairaient le jardin. En ces temps suspendus, venait d’apparaître une petite flamme, encore un peu hésitante, encore un peu meurtrie. Comme un bijou que j'aurais vu naître.
Jour 15
Je suis restée en peignoir toute la matinée, comme un long dimanche, avec mes souvenirs épars. La colère du rouge s'est transformée en feu de cheminée. Nous lui avons tendu nos orteils. S'en est suivie une drôle de conversation dont ne me restent que quelques brides.
Nous prendrons le temps de vivre… écoute, ces mots qui vibrent …
J'écoute, j'écoute ...
Un pas, une pierre, un chemin qui chemine, un reste de racine … c'est tout ce qu'il nous reste ...
Ce midi, ragoùt de pissenlits !
Tu bois mon café noir …
Non ! C'est le mien celui-là ...
Tes jambes m'emprisonnent …
N'éxagère pas, je ne retiens personne !
Nous avons le temps mais pourquoi est-ce si long …
Je ne te le fais pas dire!
Et toi …. dis-moi s'il y a des hommes …
Tu es sûr que c'est le bon moment ?
Et nous ferons l'amour dans un monde réinventé ...
Ca risque d'être un peu long non ? Pour le monde, j'entends, pour le reste ...
Danse, tant que tu peux danser … laisse toi porter par toutes les musiques ...
Ah bon, je pensais que ...
Danse comme on écrit sur le mur un poème ...
J'essaie, j'essaie ...
Ma liberté, toi qui m'a fait aimer même la solitude ...
Si ma présence te gêne …retourne à ta geôlière !
On voit dans le jour qui se lève, s'ouvrir tout un pays de rêve ...
Tu devrais peut-être changer de lunettes, les choses évoluent si vite.
Ils n'ont dans la vie que cette philosophie ...
Fais gaffe au refrain, en ce moment la mort c'est pas que du repos !
Leur seule folie c'est vouloir être libres ...
Aujourd'hui, avec modération et dérogation !
Non, je ne suis jamais seul …
Bah ! moi, oui, un peu quand même !
Quand elle est au creux de mon lit …
Qui ? La geôlière ? Arrête tu vas finir par y prendre goût !
L'amour ne peut plus voyager ...
Si, si, le facteur passe encore trois fois la semaine.
Je t'aime autant que je t'aimais ...
Bah dis-le alors !
Donne du rhum à ton homme !
Y en a plus. Prends une taffe, c'est du pissenlit séché !
Les amis de Georges … personne n'aurait perdu sa vie pour la gagner …
Il faut les comprendre aussi …même les routiers hésitent.
Voilà ce que c'est mon vieux Joseph …
Ah non, on ne va pas encore réécrire l'histoire !
Avec mon âme qui n'a plus la moindre chance de salut …
Mais, moi non plus mon vieux !
Les écureuils au coin du feu s'endorment …
Arrête le pissenlit !
Les aiguilles ont tournées ...
Il est peut-être temps de prendre une douche non ?
jour 18
J’ai attendu toute la journée que quelque chose ou quelqu'un vienne me sortir de ma torpeur. Enfin le téléphone s'est mis à vibrer. C'était une amie de longue date, une excellente couturière, me proposant de confectionner un masque avec quelques morceaux de tissus. Elle m'a conseillé de télécharger l'application Skype pour me guider. Ce que j'ai fait. Puis j'ai couru me coiffer et me mettre un peu de rouge à lèvres. C'était ma première. Mon coeur battait. J'avais juste oublier mes aiguilles et mon tissu. Déjà elle plaquait le patron sur mon écran. Mais elle me connaît... Nous allons recommencer avec les ustensiles adéquats.